✰ sweetie, you couldn't ignore me if you tried.
« Attends moi ! Abigail ! ». Il cria mon prénom qui me parvint comme un murmure. J'étais déjà bien enfoncée dans la foule. Je me faufilais avec aisance entre les buveurs et les badauds, ce qu'il n'avait jamais su faire. Je devais toujours l'attendre, mais pas aujourd'hui. On me regardait passer, l'air stupéfait et amusé. Il est vrai que je devrais offrir un spectacle ridicule avec ma robe blanche toute neuve, les cheveux soigneusement arrangés en chignon et mon maquillage ruiné par les larmes. Je ne pleurais pas souvent pourtant mais les ruptures avaient cet effet là sur moi. Pourtant je ne l'avais pas aimé, mais j'avais aimé notre histoire.
Barcelone, 21 ans
L'aéroport sentait la chaleur : un mélange de métal chaud et de transpiration. Cela sentait les vacances. Je tirais ma valise en direction de la porte coulissante qui s'ouvrit sans un bruit sur un soleil éclatant. La chaleur était celle d'un mois d'août espagnol, quelque chose entre l'insupportable et la mort. Sans exagération. Le bus qui arriva pour le centre ville était déjà bondé et j'eus l'impression de vivre un grand moment de mon séjour en me collant aux hommes dégoulinants de sueur en habit de travail. Après ce qui me sembla une éternité, je pu m'extraire du bus.
La chambre choisie depuis les Etats-Unis pour y vivre un an était exceptionnellement grande et sale. Les murs étaient couverts d'un papier peint jaunis, marron par endroit qui sentait fort la cigarette. Un instant je fus prise de l'envie de retourner prendre un avion dans l'autre sens, vers ma chambre blanche et propre de Lewisburg. Mais l'idée de donner raison à mes frères qui me croyaient incapable de cette année à l'étranger, moi si casanière, m'empêcha de m'enfuir.
Une fois la propriétaire partie, après cinq fois plus de formules de politesse qu'il est possible d'en supporter, je m'allongeais sur le lit. J'avais à peine fermé les yeux que deux grands coups sur la porte me réveillèrent dans un sursaut. La porte s'ouvrit sur un jeune homme tout sourire et bermuda.
« Hola vecina ! Bienvenido en Barcelona ! ». Son accent british perçait tellement dans son espagnol maladroit que, malgré la fatigue, je souris. Je me contentais de le saluer. Un silence s'ensuivit et nous eûmes ainsi le loisir de nous observer : il était grand et blond, un visage un peu rond mais les traits fins. Il semblait très à l'aise. « Américaine alors ! C'est drôle, tu as une tête à être bien d'autres choses ». Sur le moment cette phrase me sembla un peu étrange, entre le flirt et la moquerie. Il était pourtant tout ce qu'il y a de plus sérieux. « Je peux entrer ? Voir si ta chambre est aussi terrible que la mienne ? ». Je ne pris pas la peine de résister et le laissais passer. Nous échangeâmes quelques politesses jusqu'à ce qu'il – Harry - se mette à me parler de sa famille, de la raison de sa venue – fuir une amourette à la fin désastreuse – et de sa difficulté à s'intégrer ici, lui si étranger aux mœurs locales Il était content que je sois là. Après ce long monologue il m'invita à l'imiter. Je ne parle pas beaucoup de moi et cela était déjà vrai à l'époque. Pourtant je n'avais rien à cacher : j'étais venue ici travailler et changer d'air. Je ne fuyais personne, sinon moi-même.
« Oh rien de bien intéressant ! Je suis venue ici commencer comme serveuse. Il semble que ce soit la ville idéale pour apprendre à faire des cocktails ».
Il sourit. « Tu as raison ! D'ailleurs, ton apprentissage commence tout de suite avec moi ! Allez, je t'emmène boire la meilleure sangria de la ville ! ».
Après ses confidences, je ne pouvais pas refuser. Je savais vers quoi nous menait tout ce cinéma et je choisis de me laisser porter.
Cette année là je bus tellement de sangria que je ne peux plus en voir sans avoir a tête qui tourne. Ma relation avec Harry fût la première histoire sérieuse que je connus et elle devint le modèle de toute celles que je vivrai par la suite.
Lewisburg, 28 ans
En regardant cette année à Barcelone, je me rend compte rien n'a vraiment changé depuis. Je suis encore au lendemain d'une histoire longue de deux ans. Edgar était douceur et politesse mais il avait trop pris de place dans ma vie. Soudain, j'avais pris peur et ne trouvant pas les mots pour lui dire, je lui avais juste ordonné de partir. Peut-être était-ce cela ma grande faille : les hommes. En avais-je aimé au moins un ?
« Hé poupée, un whisky coca. Pas trop chargé, hein ? C'est la qualité, pas la quantité qui compte ! ». Un grand rire gras suivit cette blague douteuse. Je laissais couler, comme toujours. Au début je prenais la peine de répondre mais cela finissait toujours par des complications. Ah tiens, ce mot me rappelle que mon patron apprécie beaucoup cette capacité à fuir devant les problèmes. C'est bien lui qui me répétait encore hier, alors que débraillée je me sauvais de sa piaule, « ce qui est bien avec toi Abby c'est qu'il n'y a pas de complications ».
Perdue dans mes pensées, je ne le vois pas s'installer au comptoir et, en levant la tête sur son visage, je sursaute. Ezra Swethenam. Il me sourit et je lui répond timidement. En déposant son plat sur le comptoir, j'effleure sa main du bout des doigts et je le vois me rendre un regard séducteur sous ses cils. Je sens son regard sur moi lorsque je sers les autres clients : il a quelque chose à me demander. Je travaille pour lui, comme indic, mais là je n'ai rien. Je vois déjà son regard s'obscurcir. Cette affaire le prend aux tripes et je sais qu'il n'a rien. Je me sens si proche de lui parfois, que je ressens cette peine, cette peur et cette soif de savoir qui l'emporte sur tout.