Lewisburg,  Etat de Louisiane. Le jeudi 18 avril 1996, à 15h37. Les hommes et les femmes travaillent dans les boutiques et les parcs, dans l'étroitesse de leurs bureaux et chez eux. Les couples s’échangent des baisers fiévreux. Les plus vieux regardent la télé tandis que les plus jeunes s'instruisent, en pleines dictées, en pleins exercices de mathématiques. Des enfants de tout âge entassés dans les écoles, dans les crèches et les lycées. Autant de choix qui s'offrent à lui ce jour-là, celui dont les habitants de la petite ville n'oublieront jamais le nom, gravé dans leurs cœurs de la couleur de la douleur. Franck Sandford, quarante-sept ans, militaire à la retraite, en instance de divorce. Homme seul et envenimé par le monde. Autodestructeur. En ville on le connait sous les traits du père de Sandra, dix ans. Merveilleuse enfant aux boucles de feu dont il allait perdre la garde d'ici peu, chose qu'il n'accepterait jamais.  Alors, lorsque les chants des oiseaux embaument l'air, que les hommes rient aux éclats et que les femmes se remaquillent adroitement, Franck attrape deux pistolets. Deux armes qu'il chérit autant que sa propre enfant, deux armes qui pèsent lourd dans ses mains rugueuses. A bords de sa Buick, une voiture presque aussi âgée et cabossée que lui, il roule jusqu'à la Lewisburg Primary School, jusqu'au parking devant l'entrée principale. Le vent vient taquiner les nombreuses fleurs qui parsèment les bordures de l'établissement.  Il entre dans le bâtiment, dans les couloirs calmes et les classes bruyantes, de tendres et candides mélodies, avec une macabre discrétion. La même atmosphère paisible règne dans la salle de miss Fletcher lorsqu'il y pénètre et tire. La déflagration, l'écho assourdissant de la mort, l'effroi voilé sous des épais cils. Et ce sont des larmes vermeilles que le ciel pleure. Ce sont des sanglots carmin qui salissent le sol. Sur les vingt-deux enfants présents, seulement douze survivront. Miss Fletcher elle aussi sera victime de l'homme, elle mourra de la suite de ses blessures dans l'ambulance qui la mène vers la clinique médicale de la bourgade. Et Sandra, surtout Sandra. Des enfants âgés de dix ans perdent cet après-midi la vie sans motif, détruisant ainsi de nombreuses familles, de nombreuses autres vies, laissant derrière eux le vide de l'amertume. Nos actions affectent le reste du monde. Depuis cette funeste date, dix-huit ans se sont écoulés, pourtant malgré l'air radieux de la jolie ville de Lewisburg personne ne semble avoir oublié ce drame affreux. Tapis telle une ombre pesante au-dessus de leurs têtes, des brumes tachées de nuit. Certains ont néanmoins appris à vivre avec l'affliction et à marcher consciencieusement, un pas devant l'autre, sans jamais se laisser abattre. D'autres cependant n'ont pas supporté cette douleur et ont préféré fuir, partant au loin pour ne plus jamais revenir. Il y a finalement ceux qui sont arrivés après la bataille, heureux ingénus dont la peur ne déforme pas encore les traits. Toutefois une certitude habite chaque habitant de Lewisburg, l’appréhension de voir à nouveau du sang tapisser les murs de l'école.